De quoi c'est-y qu'ça cause ?

 

 

 

  Tous les chemins mènent à Rome, certes, mais seule la départementale D. 154 menait au petit village de Bourg-lès-Bourris…Hélas pour l’économie locale, peu de touristes atterrissaient en cette plaisante bourgade pour d’autres motifs que celui d’avoir mal lu la carte ou les panneaux routiers. À la rigueur, on passait par là parce que c’était sur le trajet de la solderie Priba, qui était un des principaux pôles d’attraction de ce coin de Normandie. Avec la foire à l’Hue dia.

        Et patati et potentats !  Ça ne fait pas très sérieux, comme titre, n’est-ce pas ? Eh ! bien c’est fait exprès ! Après tout, la Raison d'état, les conflits ruraux, les troubles psychiatriques, les problèmes des banlieues… enfin quoi, toutes ces bisbilles susceptibles d’assombrir notre quotidien, méritent-elles vraiment qu’on les traite avec componction ? Nenni les aminches : étant entendu que le monde se divise entre engeance et potentats, quoi faire sinon s'en amuser ?       Or ça, ami lecteur, amène ton pliant, et installe-toi donc sur le trottoir de Bourg-lès-Bourris, au côté de l'auteur, qui a mis le rosé au frais... 

 

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      Ce roman ( 330 pages, 12 euros, un cadeau, pour ainsi dire ! ) est paru par la Grâce de Chemin faisant.

      Cet éditeur associatif, sis en la bonne terre de Saincte  Bretagne, fait un boulot de qualité, qui mérite d'être découvert... et soutenu ! 

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Et comme une promo n'est jamais réussie sans extrait, voici, rien que pour vos yeux, le 1er chapitre du roman...

 

Première partie : LES OMBRAGEUX

 

Chapitre 1

 

         À soixante-dix-huit ans, Jeanne Poilau n’était pas tout à fait morte. Et elle tenait à le faire savoir. D’un pas vif, elle longeait la berge d’une petite rivière : elle aimait bien passer par là. D’abord, parce qu’avec un peu de chance, on pouvait y apercevoir quelques bestioles assoiffées. Ensuite, parce que c’était le meilleur chemin pour rejoindre à peu près discrètement l’espèce d’appentis qui servait d’abri de bus, sur la grand-rue…

Lorsqu’elle y fut parvenue, Jeanne ne put réprimer un rictus à la vue des innombrables graffitis qui fleurissaient là. Les plus sobres recommandaient à Raoul d’aller « sussé sa grand-mère », à Cynthia de « se faire maître », alors que d’autres n’hésitaient pas à s’immiscer dans la vie privée des familles, pour révéler à une communauté incrédule, que la mère à Maurice, par exemple, « a s’met des pouarau keke part » ! Mais l’écrasante majorité desdites inscriptions, si elle demeurait à caractère essentiellement sodomite, ne mettait pourtant qu’une seule personne en cause : monsieur le maire. Lequel, décidément, souffrait de plus en plus difficilement de voir son intégrité anale systématiquement incriminée, avec une constance têtue, malgré les innombrables coups de peinture qu’il ordonnait au cantonnier d’étaler sur l’abri de bus…

La satisfaction de la vieille avait une explication : le conflit qui l’opposait, de toute éternité,  à son éternel maire, le grassouillet Hubert Belon.

Pour ce qui était du maire, c’eût été un euphémisme de dire qu’il était hostile. Tout, chez lui, suait la rancœur qu’il vouait à son ancienne institutrice. Surtout, l’exercice de son autorité communale était en partie consacrée à pourrir l’existence de la citoyenne Poilau, ci-devant ancienne institutrice…

D’une façon générale, il fallait cependant admettre que peu de gens, au bourg, appréciaient sincèrement Jeanne : la population était vieillissante, à Bourg-les-Bourris, et à peu près tout le monde avait eu à souffrir de ses principes pédagogiques impitoyables. À coups de règle sur les doigts, de cinq cents lignes à copier pour demain ou encore de pages de Chateaubriand à retenir par cœur, elle avait forgé quelques générations de martyrs peu enclins au pardon. Mais force était de reconnaître à la vieille ce mérite : on savait lire les faits divers et écrire ses noms et prénoms sans faire de fautes, à Bourg-les-Bourris, ce qui n’était pas le cas dans bien des villages alentour.

Enfin, La vieille arriva enfin en vue de la mairie dont elle franchit le seuil, un journal à la main et bien décidée à en découdre !

 

*

 

        À une douzaine de kilomètres de Bourg-les-Bourris, dans l’épicerie-droguerie-café-tabac du père Chavasse, l’atmosphère était à la détente. Renversés sur leurs chaises, Fernand Tygroot et son vieux copain Joseph Hércé prolongeaient un apéro stakhanoviste.

Fernand était ce que les gadjé ignorants appellent un gitan, mettant indifféremment dans le même sac manouches et voyageurs, roms et forains. Sourcilleux quand il n’était pas rigolard, il était, par-dessus tout, d’une méfiance farouche à l’égard de tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à une institution. Mais l’atavisme avait ses limites : Fernand se satisfaisait d’avoir troqué la caravane pour une bicoque et n’éprouvait aucune passion pour le folklore voleurdepoulesque du panier en osier et du cambouis systématique. Au bout d’une vingtaine d’années passée sur les marchés du pays à vendre de tout pour récolter des fifrelins, il était quand même parvenu, à force de labeur, à monter sa propre affaire. Il se trouvait donc, à l’âge de trente-huit ans, aux commandes de la solderie Priba où il continuait de s’abrutir dans le travail, parce qu’il ne savait pas faire autrement.

Quant à Joseph, il était représentant en cruches-baveuses et autres merveilles spirituelles. Et depuis quelques années qu’il comptait Fernand parmi ses clients, il avait fini par l’apprécier au point de partager sa table lorsque l’occasion s’en présentait, c’est-à-dire deux ou trois fois par mois. L’ancien forain en était comblé, qui ne se lassait pas d’entendre les tracas conjugaux du malheureux. Aux prises avec l’alien adolescent et la boîte vocale intarissable qui lui servaient respectivement de fiston et d’épouse, Joseph en était en effet réduit à simuler un début de surdité…

Pour l’heure, précisément, on causait progéniture.

— Moi je veux bien, concédait Fernand, d’autant qu’en ce moment, un peu plus de bras au bouclard[1], ça serait pas forcément inutile. Mais lui, t’es sûr que ça va l’intéresser ?

— Ah ! ben non, c’est sûr, éructa Joseph, lui, ce qui l’intéresse, c’est de dormir, surtout !

Dubitatif, Fernand osa une incongruité :

— Ben quoi, y fait des études, non ?

— Ah oui ! ironisa son copain : il étudie la réfrigération…

— Qué ? !

— Oui, régulièrement, à peu près une vingtaine de fois dans la journée, il lève sa carcasse d’étudiant et va vérifier si le frigo marche bien ! Et c’est rare s’il en revient bredouille, du frigo !

Il s’emportait. Pour le calmer, Fernand réitéra :

— T’énerve pas, j’te dis qu’je l’prends, ton gamin, on a besoin d’un coup d’main, j’te répète…

Reconnaissant, Joseph rapprocha son visage de celui de son sauveur et précisa :

— Et faut qu’il morfle, hein, surtout !

L’autre rigola un bon coup :

— Je vais le foutre à la caisse !

Sceptique, Joseph se rembrunit :

— Mais non, fous-le à charrier des cartons, plutôt… à décharger des palettes…

Net, Fernand souligna :

— Ça fait combien de temps que tu fais le V. R. P dans ma boutique ? Quatre ans ? Cinq ans ?

— Oui, à peu près, quelque chose comme ça…

— Et tu m’y as souvent vu, à la caisse ?

 

*

 

        Comme à son habitude, Jeanne Poilau pénétra dans le bureau du maire sans y avoir été invitée. Hubert Belon fronça les sourcils et consentit à accueillir l’intruse par une gentillesse :

— Je m’disais aussi qu’y avait comme une odeur !

— C’est probablement dû au fait que ton appendice nasal est près de ta bouche, rétorqua l’aimable visiteuse en brandissant un exemplaire de la feuille de chou locale sous ledit organe. Feuille de chou dans laquelle, il fallait se rendre à l’évidence, les nom, prénom et qualité de Madame veuve Jeanne Poilau, s’offraient sans pudeur aux regards. À la rubrique nécrologique.

Le maire ne put réprimer un sourire de satisfaction à la vue du document et, affable, fit exprès de se tromper :

— Mon dieu, mais quel heureux événement, un petit citoyen de plus sur notre commune… Mais quelle gaillarde ! Toutes mes félicitations ! La délivrance ne vous a pas trop fait souffrir, au moins ?

Interdite, Jeanne prit le temps de jeter un nouveau coup d’œil au journal, et constata, sous l’annonce de son décès, celle d’une naissance.

— Tu me railles, malfaisant ? siffla-t-elle en pointant, d’un index effilé comme une lame, le motif de sa visite.

— Comme quoi c’est pas toujours les meilleures qui s’en vont… conclut le maire, après avoir condescendu à faire semblant de comprendre de quoi il s’agissait.

— Cette fois, j’exige la publication d’un démenti ! intima la vieille, il faut écrire que je n’ai point péri ou alors je vais porter plainte à la gendarmerie, c’est compris ?

— Oui, allez donc leur expliquer que vous êtes vivante, puisqu’aussi bien vous aimez faire de la peine aux gens !

— C’est ça, rigole, grimaça l’ancêtre en découvrant un fossile de canine, rigole : tu veux la guerre, Belon, eh bien tu vas l’avoir !

La guerre ? Belon eût pourtant juré qu’elle faisait rage depuis un bon bout de temps, la guerre, à Bourg-les-Bourris…

La vieille tourna les talons et sortit de la pièce en grommelant.

 

*

 

        Depuis qu’il avait acquis son téléphone portable, et par voie de conséquence souscrit l’abonnement qui allait avec, Raoul Hércé avait garanti à son opérateur une retraite dorée aux Seychelles. Pourtant, fait exceptionnel, le garçon fut ce jour-là contraint d’écourter sa communication. Au sourire cruel que son père lui avait décoché après s’être planté devant lui, il avait supputé un malaise.

Malaise ? Le mot était faible. En effet, ça avait été pénible, lassant… Et ça s’était prolongé pendant presque deux heures… Embarrassé, Raoul avait cherché une échappatoire : n’importe quoi qui pût être susceptible d’infléchir la décision, inique, qu’avait prise son paternel à son insu.

Il tenta bien de faire admettre à son géniteur que son attitude était franchement anti-démocratique. Il évoqua l’absolutisme de Louis XIV, fit allusion aux multiples juntes qui gangrenaient l’Amérique latine… Las ! Le chef de famille, rétif à la dialectique la plus élémentaire, n’avait rien voulu entendre aux arguments de sa progéniture. Il avait parlé effort et réveille-matin, grogné loyer et redevance télé, hurlé frigo et supposées études… Et, à bout de souffle sinon de nerfs, ahané factures de téléphone !

Vaincu par cet ultime coup bas, Raoul avait dû, au bout du compte, se résigner à accepter l’idée d’aller prochainement vendre sa sueur…

 

*

 

        Dans son grand bureau parisien, les fesses confortablement calées dans un fauteuil de velours rouge, Bertrand Martinguet rêvassait. Perdu dans la contemplation d’une reproduction des Tournesolsqui jouxtait le cadre doré dans lequel sommeillait son diplôme de docteur en psychiatrie, il s’ennuyait presque. Il ne put s’empêcher d’apprécier à voix haute :

— Quand je pense à l’oseille que ça représente, ces trois jonquilles dans une carafe !

— Hmm ? fit une voix, quelque part dans la pièce.

— Hein ? Rien, t’occupe, soupira le critique d’art, continue !

Sous le bureau, Martine Lachaire, émérite secrétaire médicale de son état, ne pouvait matériellement répondre. Elle redoubla d’ardeur, soucieuse de complaire à son patron à qui elle vouait une passion sans bornes. Lorsqu’elle eut terminé son ouvrage, Martinguet la remercia d’une tape sur les fesses en lui faisant remarquer qu’il n’y avait plus de café.

— Je vais en faire, proposa l’enamourée.

En passant près de l’outil de travail de son seigneur, elle ne put s’empêcher de revenir, pour la énième fois, sur son idée fixe :

— N’empêche qu’on serait mieux installés sur le canapé, pour faire notre bébé !

— Ça s’appelle un divan, corrigea simplement l’assouvi.

— Ouais mais moi j’attrape des crampes, comme ça !

Ce fut à ce moment-là que le Président de la République frappa à la porte. Enfin, pas exactement le Président, mais le plus gros de ses deux gardes du corps. Celui-ci s’effaça pour laisser passer le Chef de l’État qui entra, un deuxième molosse, ainsi qu’un petit homme chauve à sa suite.

Martine, qui s’attendait à la visite de l’excentrique patient, comme chaque vendredi depuis trois mois, ne sourcilla pas lorsqu’elle vit entrer dans la salle d’attente un officier d’Empire, avec buffleteries, aiguillettes et solennelles moustaches. Blasée, elle l’avait déjà accueilli auparavant en Babar, en Zorro, en vampire, en pervenche, en moujik… Elle avait bien cherché à savoir, au début, qui pouvait bien se dissimuler sous d’aussi discrètes tenues, s’il s’agissait d’une personnalité, d’une tête un peu connue… Mais son étalon lui ayant successivement fait croire qu’il s’agissait de Michaël Jackson, d’un montreur d’ours roumain, ou même de Charlemagne, elle avait fini par laisser tomber en haussant les épaules…

S’il avait l’habitude des loufoqueries de son visiteur, en revanche, il arrivait encore au docteur Martinguet de s’ébahir devant tel ou tel choix de coloris. C’est pourquoi, ce jour, la vue de ce magnifique rescapé de la Grande Armée manqua le faire choir de son fauteuil.

— Vous n’avez rien trouvé de plus voyant ! ? hasarda-t-il.

Jovial, l’autre s’avança vers lui, tendit une main gantée et expliqua :

— Je comprends votre étonnement, docteur, mais j’ai cru bon de suivre votre conseil de la semaine dernière !

— Mon conseil ?

— Absolument : vous m’avez demandé d’essayer de trouver quelque chose de plus discret que le costume de dinosaure…

— Et vous trouvez que c’est discret, ça ? s’étrangla le psychiatre.

— Écoutez, tant que je serai obligé de venir vous voir, je trouverai les déguisements les plus saugrenus, ce qui, si je ne m’abuse, vous complique un peu la tâche, puisque vous avez grandement intérêt à ce qu’on me remarque le moins possible, me trompé-je ?

Le patient s’approcha du bureau, sortit une hachette de dessous ses frusques, et la tendit au toubib. Il releva ensuite la manche qui recouvrait son bras gauche et proposa :

— Maintenant, si vous sentez comme, disons, de la lassitude, on peut toujours s’arranger…

Le petit chauve, qui était resté en retrait, eut un frémissement. Le poing serré sur un objet qui faisait une bosse sous son aisselle droite, il lorgnait Martinguet avec intérêt. Le psy aussi avait d’abord frémi. Mais il s’était vite ressaisi. Il fixa l’hurluberlu dans les yeux, et répondit :

— C’est inutile d’insister : je ne vous couperai pas le bras, Monsieur le Président !

L’autre sanglotait maintenant avec des spasmes de bègue à un oral de rattrapage…

 

*

 

        Sadique, Jeanne Poilau pesait de tout son poids sur la sonnette de l’interphone. C’était suffisamment agaçant pour que le gendarme Gustave Brindelot risquât un œil à la fenêtre, au mépris du danger. Apercevant l’éprouvante vieillarde, il s’enhardit et sortit tout à fait de son casernement.

— Les militaires, c’est plus ce que c’était, glapit la vieille avant qu’il ait pu ouvrir la bouche, dans le temps, ça sortait des tranchées un peu plus vite que vous autres de votre bunker !

— Ah non ! ça va pas recommencer, prévint Brindelot : si ça a encore un rapport avec le maire, y en a marre !

— Il a essayé de me tuer ! souffla Jeanne !

Stupéfait, Brindelot s’alarma : les chamailleries habituelles du maire et de la vieille Poilau, pour lassantes qu’elles fussent, ne s’avéraient somme toute pas trop graves. Mais si ça devait virer à l’aigre au point qu’il y ait mort d’homme (ou d’emmerdeuse), polope ! C’était plus la même chose : on sortait du folklore pour entrer de plain-pied dans le fait divers, dans la tragédie…

— Qui a essayé de vous tuer ? s’enquit le gendarme, Monsieur le maire ?

— Exactement, c’est marqué là ! confirma la vioque en montrant le numéro du jour du Bulletin des Bourris, organe de propagande local des associations de frites et des clubs de merguez.

Soulagé, Brindelot comprit de quoi il retournait et révéla le fond de sa pensée :

— Dommage que ça soye pas vrai, que vous êtes passée, on aurait débouché une bouteille !



[1]          Bouclard : magasin, boutique, en argot.

 

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