La Brèche (Roman jeunesse)
La Brèche (Roman jeunesse)

De quoi c'est-y que ça cause ?


       Le collège Gédéon Spilett est le théâtre d'étranges manifestations : il semblerait que le spires cancres de l'établissement et les héros d'un certain nombre d'ouvrages aient été intervertis !

        Existe-t-il un rapport entre ces bizarreries  et les manigances des professeurs Canaglia et Mascalzone, dont l'engouement pour les sciences occultes et la science fiction n'est plus à démontrer ? Ce n'est pas impossible...

        Quant au solitaire professeur Lépalme, d'où lui vient cette  sensation de malaise qui ne le quitte plus depuis qu'il a mis les pieds dans ce collège pour y effectuer un remplacement ? Et puis "la réalité", qu'est-ce que ça veut dire, d'abord, "la réalité" ?  Est-ce que ça existe, seulement, la réalité ? On peut en douter...

        La brèche est un récit dans lequel s'ébattent sales gosse et grands gosses, au grand dam des adultes véritables !

*

 

  Pour des raisons pratiques (et mercantiles, oeuf Corse !) évidentes, seul l'incipit est lisible ci-dessous...

 

 

 

 

Prologue

Où l’on constate la disparition de Cosette !

 

        Les mains croisées derrière le dos, monsieur Mousli parcourait la salle de classe à petits pas précautionneux. Son attention était concentrée sur les embûches que représentaient les sacs et les cartables qui obstruaient les travées.

C’était donc d’une oreille distraite qu’il écoutait la lecture de Nicolas Leferrand. Celui-ci déchiffrait avec application l’extrait des Misérables qui avait été choisi pour illustrer la leçon du jour. Ce passage, monsieur Mousli le connaissait par cœur, ce qui le dispensait d’avoir à suivre sur son propre manuel. L' auteur y narrait la rencontre de Jean Valjean et de Cosette.

La réunion, dans les ténèbres d’une forêt dense, de ces deux silhouettes si opposées, celles du solide bagnard et de la chétive enfant, avait toujours ému ce professeur de français un peu sentimental…

Amolli par cette printanière fin de matinée qui souriait derrière les fenêtres, monsieur Mousli se félicitait de l’absence de son élément le plus turbulent. Cette absence participait en effet à la sérénité du présent cours en ne le troublant pas par des commentaires superflus. Monsieur Mousli affichait un sourire béat en accompagnant les pas de Jean Valjean à travers le bois de Chelles :

— « En cheminant par le taillis dans la direction de Montfermeil, il avait aperçu une petite ombre qui se mouvait avec un gémissement, qui déposait un fardeau à terre, puis le reprenait, et se remettait à marcher. Il s’était approché, avait reconnu que c’était un tout jeune enfant chargé d’un énorme seau d’eau. Alors il était allé à l’enfant, et avait pris silencieusement l’anse du seau », lut encore Nicolas Leferrand avant de s’interrompre.

— Eh ! Bien ? interrogea monsieur Mousli, pourquoi donc t’arrêtes-tu ?

— Ben parce qu’il y a un nouveau chapitre m’sieur ! constatèrent d’un même élan Nicolas et quelques-uns de ses camarades.

— Ah ! Oui, c’est exact, bon… Eh ! bien Karine, tiens : lis-nous donc la suite, qu’on puisse entendre ta voix !

Peu motivée, ladite Karine commença à lire d’une voix hésitante. Mais quelque chose sortit tout à coup monsieur Mousli de la distraction dans laquelle il avait de nouveau sombré, sans qu’il fût capable d’identifier clairement de quoi il s’agissait…

— Heu… Reprends deux ou trois lignes plus haut s’il te plaît, intima-t-il à son élève qui s’exécuta, sans bien saisir la raison de cette extravagance :

— Ah ! bon ? bon, d’accord : « Éric lâcha le seau. L’homme se mit à cheminer près de lui.

C’est très lourd en effet, dit-il entre ses dents. Puis il ajouta :

Petit, quel âge as-tu ?

Douze ans m’sieur !

Et viens-tu de loin comme cela ?

Ben… du collège Gédéon Spilett…

Du quoi ? Et est-ce loin où tu vas ?

Ben j’en sais rien moi ! Déjà, chais même pas comment qu’chuis arrivé ici d’abord ! »

Les joues rouges et les yeux exorbités, monsieur Mousli poussa le plus fameux hurlement qui eût été ouï de mémoire de collégien :

— Mademoiselle Karine Dubois ! Qu’est-ce qu’il vous prend ? Vous trouvez amusant d'abîmer un si beau texte ?

— Mais monsieur… bredouilla Karine sans comprendre.

— Rien du tout ! brailla derechef monsieur Mousli : je ne tolérerai pas que mes élèves s’amusent à ridiculiser les textes que je leur fais étudier !

— Mais j’ai rien fait monsieur, osa répondre l’incriminée, j’ai fait que lire c’qui est écrit, moi !

— C’est vrai monsieur, protesta le reste de la classe, elle a lu c’qui est écrit Karine, elle a rien fait de mal !

Mais cet embryon de révolte, comme la réaction qui menaçait de s’ensuivre, fut tué dans l’œuf : la sonnerie retentit bientôt, mettant fin à l’incident.

Monsieur Mousli attendit que tous les élèves aient disparu dans le tumulte de l’inter-classe et feuilleta machinalement son manuel en maugréant contre les espiègleries des potaches. Parvenu à la page de la discorde, il entreprit de la relire, en manière de réparation envers la mémoire hugolienne. Mais il fut contraint de rapidement se rendre à l’évidence : la preuve de la bonne foi de l’élève Karine Dubois s’étalait, imprimée noir sur blanc sur la page 123 de son manuel de français. C’était bien d’un certain Éric dont il était question. Et qui plus est le garnement s’avérait un brin effronté, ce qui déconcertait fort le sieur Valjean. Quant à la dénommée Cosette, c’était bien simple : elle n’était même pas évoquée !

— Alors ça c’est fort ça, balbutia le professeur, alors ça c’est pas mal alors…

Pour en avoir le cœur net, il décida de vérifier la présence de cette incongruité dans chacun des manuels de la classe. Frénétique, il ouvrit chaque exemplaire à la page 123, et fut frappé de stupeur : invariablement, la Cosette de ses souvenirs s’était transformée en Éric !

Monsieur Mousli se gratta longuement la nuque en signe de perplexité. Il envisagea tout à tour une plaisanterie des correcteurs du manuel, une malfaisance (mais dans quel but, grands dieux ?) d’un de ses auteurs, ou encore un coup monté de la part de collègues moqueurs...

 

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